87La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. II - avril 1998
CRAMPES
Définition clinique
La crampe est une contraction douloureuse d'une partie ou de la
totalité d'un muscle. Elle correspond à la mise en jeu involon-
taire de plusieurs unités motrices durant quelques secondes à
plusieurs minutes. Elle peut être abrégée par la mise en jeu
volontaire des muscles antagonistes.
SÉRIE EMG
Crampes et fasciculations
N. Le Forestier, P. Bouche*
La crampe est une contraction douloureuse du muscle,
d'origine neurogène
La fasciculation traduit la contraction visible et involon-
taire d'un petit groupe de fibres musculaires dépendant d'un
même motoneurone.
Les fasciculations témoignent de fluctuations de l'excita-
bilité du motoneurone, du soma, jusqu'à la terminaison
synaptique.
Les étiologies des crampes et des fasciculations sont
bénignes ou physiologiques dans la grande majorité des cas.
La sclérose latérale amyotrophique demeure la cause la
plus redoutée.
Des fasciculations sont toutefois observées dans de nom-
breuses affections neuromusculaires.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
* service d’explorations fonctionnelles, Neurologie,
Hôpital de la Salpêtrière, Paris.
Définition électrophysiologique
Une aiguille d'enregistrement électromyographique située dans
le muscle présentant une crampe révèle une longue bouffée de
potentiels d'unités motrices synchrones à une fréquence allant de
40-60 à 200-300 Hz.
Étiologies
Elles peuvent apparaître chez le sujet sain et font suite à l'effort
ou au maintien de mauvaise position. Elles sont classiques au
cours de certains états pathologiques comme les affections du
motoneurone ou les polyneuropathies. Elles peuvent être pro-
voquées par l'hyponatrémie, l'hypocalcémie, des déficiences
vitaminiques ou l'ischémie. Elles peuvent se rencontrer dans
divers syndromes que nous développerons ultérieurement.
FASCICULATIONS
Définition clinique
La définition clinique retenue est toujours celle de Denny-
Brown et Pennybacker (1938). Une fasciculation traduit la
contraction visible et involontaire d'un petit groupe de fibres
musculaires dépendant d'un même motoneurone. Elle est secon-
daire à des décharges électriques spontanées et synchrones. Ces
contractions peuvent être rares, intermittentes ou continues,
mais n'entraînent jamais de contraction de l'ensemble du muscle
ni de mouvement du membre ou de l'articulation contiguë.
Définition électrique
Lorsque cette contraction est enregistrée par une aiguille intra-
musculaire, on parle alors de potentiel de fasciculation. Ce
potentiel est la somme des potentiels de dépolarisation des
fibres musculaires appartenant à la même unité motrice. Ses
paramètres, tels que durée, amplitude et phase, ne diffèrent pas
de ceux du potentiel d'unité motrice. Ces potentiels de fascicu-
lations sont irréguliers : de fréquence allant de 1 Hz à plusieurs
par minute, et indépendants de tout contrôle volontaire.
Les fasciculations sont à distinguer
1. Des potentiels de fibrillation, qui sont invisibles cliniquement
et ne sont enregistrables qu'au cours de l'exploration électro-
physiologique. C'est un potentiel d'action d'une seule fibre mus-
culaire apparaissant le plus souvent à un rythme régulier, bipha-
sique et de durée inférieure à 5 m/s avec une phase initiale posi-
tive d'amplitude inférieure à 1 V/m.
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SÉRIE EMG
2. De la myokymie, qui correspond à une décharge synchrone
de fasciculations sur des fibres musculaires adjacentes rendant
possible et visible le mouvement du muscle ou de l'articulation
voisine.
Origines
Les mécanismes physiopathologiques responsables des fascicu-
lations restent incertains. Ils peuvent être observés dans de nom-
breuses affections neurologiques du système nerveux périphé-
rique.
a. Origine somatique ?
Denny-Brown, dès sa définition de 1938 de la fasciculation,
évoquait une origine somatique à partir du motoneurone
spinal. Des expériences d'anesthésie spinale entraînaient
une réduction de 60 % du nombre de potentiels de fascicu-
lations chez des patients avec SLA, alors que des expé-
riences de transsection nerveuse dans des cas de SLA
entrainaient une persistance voire une augmentation de la
fréquence des fasciculations. Des potentiels de fascicula-
tions ont pu aussi être enregistrés à partir de motoneurones
alpha en dégénérescence. Enfin, des potentiels de fascicula-
tions synchrones ont été enregistrés dans des muscles
dépendants de nerfs moteurs différents, mais situés sur un
même segment spinal.
b. Origine axonale ?
Les fasciculations pourraient également naître de collatérales
de nerfs moteurs immatures réagissant de façon inappropriée à
des substances humorales telles que l'acétylcholine. Les fasci-
culations pourraient ainsi témoigner de l'hyperexcitabilité des
axones moteurs régénérés. Toutefois, Wettstein (1979) insistait
sur l'absence de potentiel de fasciculation dans des processus
neuropathiques en cours de régénérescence. On peut égale-
ment noter la présence fréquente de ces potentiels à la phase
prodromique de la poliomyélite virale alors que tout processus
de régénérescence est encore absent. Plus récemment, les tech-
niques électrophysiologiques expérimentales de collision sou-
tenaient l'origine axonale de ces potentiels. D'autres auteurs
s'orientaient vers une origine encore plus distale, au niveau de
la jonction neuromusculaire, devant l'apparition de fascicula-
tions après injections locorégionales de drogues choliner-
giques ou anti-cholinestérasiques et leur disparition sous cura-
re (Layzer 1994).
Ainsi, au vu des différentes expériences et devant la multipli-
cité des étiologies, est-il difficile d'être unanime quant au site
privilégié d'apparition de ces potentiels de fasciculations
(Roth, 1982). Il faut retenir aujourd'hui que les fasciculations
témoignent de fluctuations du degré d'excitabilité du soma ou
de l'axone du motoneurone.
Étiologies
On observe des fasciculations dans de nombreuses affections.
Cependant, elles relèvent le plus souvent de causes bénignes.
Plus rarement, elles peuvent être l’un des éléments du diagnos-
tic dans les maladies de la corne antérieure de la moelle.
Affections du motoneurone : héréditaires ou sporadiques
*sclérose latérale amyotrophique
*amyotrophies spinales progressives de l'enfant
*amyotrophies spinales progressives de l'adulte
*poliomyélites aiguës
*syndrome postpoliomyélitique
Affections myéloradiculaires
*polyradiculonévrites aiguës type Guillain-Barré en phase de récu-
pération
*compressions médullaires (antérieures) :
+ myélopathie sur spondylodiscite
+ souffrance médullaire sur tumeur intracanalaire
+ dans les suites d'interventions
+ compressions radiculaires traumatiques
*syringomyélie
Plexopathies
*plexopathies postradiques
*plus rarement plexopathies néoplasiques
*plexopathie de type Parsonage et Turner
Neuropathies
*neuropathies amyloïdes primitives
*mononeuropathies multiples au cours des vascularites
*neuropathies diphtériques (phase de récupération)
*neuropathies aiguës alcooliques
*neuropathies motrices multifocales avec blocs de conduction
*mononeuropathies tronculaires par compression
*neuropathies héréditaires Charcot-Marie-Tooth type I et II
Affections musculaires
*polymyosites
*myosites et myopathies à inclusions
*myopathies métaboliques (glycogénoses ou lipidoses)
*dystrophies fascio-scapulo-humérales
*paralysie périodique hyperkaliémique
*syndrome myalgie-éosinophilie
*myosite interstitielle avec lipo-atrophie localisée (rentrant dans le
cadre des sclérodermies)
Causes iatrogènes, toxiques ou métaboliques
*drogues cholinergiques ou anticholinestérasiques
*hormone de croissance
*organo-phosphorés et carbamates des insecticides
*produits pétroliers et huiles de lubrification
*hyperthyroïdies
*tétanie et hypomagnésémie
Physiologique chez le sujet sain
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LES SYNDROMES
Les fasciculations bénignes du sujet sain
Elles se définissent par leur existence en l'absence de faiblesse
musculaire, d'amyotrophie ou de signe de dénervation sur
l'EMG. On les oppose donc aux fasciculations dites malignes,
qui dévoilent une maladie du motoneurone. Les fasciculations
sont à l'origine de nombreuses consultations puisqu'elles affec-
tent 15 % de la population générale. Elles sont physiologiques
lorsqu'elles font suite à l'effort physique ou l'ingestion de caféi-
ne. Elles sont le plus souvent bénignes dans des populations
exposées telles que celles des professionnels de santé (70 % des
539 personnes interrogées dans le travail de Reed et Kurland en
1963). Elles paraissent le plus souvent localisées et intéressent
des personnes dont parfois un membre de la famille est atteint
d'une affection du motoneurone. On trouve parfois une infection
d'allure virale dans les antécédents récents ou un épisode de
paresthésies transitoires. La particularité de ces fasciculations est
qu’elles sont plus ressenties par le patient que visiblement
constatables. Une faible proportion de ces patients au cours de
l'exploration électrophysiologique révèle une neuropathie a
minima. Aucun des patients présentant ces fasciculations dites
bénignes ne développe de maladie du motoneurone. Toutefois, la
prudence reste de mise lorsque des fasciculations apparaissent
chez un patient au-delà de l'âge de 40 ans. Certains auteurs ont
tenté de déterminer les caractéristiques cliniques et électrophy-
siologiques de bénignité des fasciculations. Celles-ci seraient
bénignes si elles ne sont pas vues par l'examinateur (Blexrud et
coll., 1993). Elles seraient plus localisées mais plus fréquentes
que les fasciculations pathologiques (Reed et Kurland, 1963 ;
Blexrud et coll., 1993) et persisteraient la nuit. Les fasciculations
malignes débuteraient après 45 ans et ne seraient pas toujours
ressenties par le patient (Eisen et Stewart, 1994).
Électrophysiologiquement, les potentiels de fasciculations
bénignes seraient plus volontiers polyphasiques, irréguliers en
amplitudes, groupés et rythmiques. Pour d'autres auteurs, la
seule différence significative entre les fasciculations bénignes et
malignes ne serait pas le degré de polyphasicité des potentiels,
mais l'intervalle de temps entre ces potentiels. Cet intervalle
serait plus long dans les étiologies malignes : une fasciculation
toutes les trois secondes contre une fasciculation par seconde
dans les étiologies bénignes (Trojaborg et Buchthal, 1965).
Pour Eisen et Stewart (1994), les potentiels de fasciculations
seraient prémonitoires de SLA lorsqu'ils sont de durée plus
longue, d'amplitude plus élevée et de formes plus variables que
les fasciculations physiologiques ou celles que l’on rencontre
dans les pathologies bénignes.
Syndrome crampes-fasciculations
Ce syndrome se caractérise par des contractions douloureuses
brutales des cuisses et des mollets, moins fréquemment des
bras, favorisées par l'effort de la marche et parfois entrainant un
handicap sévère conduisant à l'arrêt de tout travail ou de toute
activité ménagère. Ces crampes s'associent à des fasciculations
et parfois à des myokimies dans les muscles proximaux des
membres, mais aucune amyotrophie ou déficit moteur n'est
constaté. La sensibilité et les réflexes tendineux sont normaux.
Les enzymes musculaires peuvent être discrètement augmen-
tées. En EMG, seuls les potentiels de fasciculations sont enre-
gistrables et peuvent être supprimés par le curare. Le traitement
symptomatique est le plus souvent nécessaire en raison du han-
dicap et repose sur la carbamazépine qui peut entraîner une
amélioration partielle ou complète, au-delà de quatre mois. Les
dérivés de la quinine ou les inhibiteurs calciques peuvent être
également utilisés (Tahmoush et coll., 1991).
Syndrome crampes-myokimies
Ce syndrome serait un continuum entre le syndrome crampes-
fasciculations et le syndrome d'Isaac. Il est sensible à un traite-
ment par phénitoïne, carbamazépine ou dérivés de la quinine.
Syndrome douleurs musculaires-fasciculations
Les douleurs musculaires sont continues et chroniques (de un à
dix ans), diffuses, parfois à type de brûlures, plus marquées en
fin de journée ou après un exercice physique. Les symptômes
s'améliorent à la sieste et au repos. Un ou deux ans plus tard
apparaissent des fasciculations et une fatigue musculaire ou
encore des épisodes de paresthésies. L'examen clinique est nor-
mal. L'EMG trouve des potentiels de fibrillations et de fascicu-
lations parfois associés à une atteinte axonale motrice ou sensi-
tive (Hudson et coll., 1978). Le traitement n'est que partielle-
ment efficace, voire inefficace, et repose sur la phénytoïne, la
carbamazépine ou les dérivés de la quinine.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Eisen A., Stewart H. Not-so-begnin fasciculation. Ann Neurol 1994; 35 : 375.
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Layzer R.B. The origin of muscle fasciculations and cramps. Muscle Nerve
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Tahmoush A.J., Alonso R.J., Tahmoush G.P., Heiman-Patterson T.D. Cramp-fas-
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Neurology 1991 ; 41 : 1021-4.
Trojaborg W., Buchthal F. Malignant and begnin fasciculations. Acta Neurol
Scand (Suppl 13) 1965 ; 41 : 251-4.
Wettstein A. The origin of fasciculations in motoneuron disease. Ann Neurol
1979; 5 : 295-300.
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